La stigmatisation du malade épileptique remonte à la nuit des temps. Véhiculée par de nombreuses sources : la religion, la littérature, la peinture, le théâtre, le cinéma, elle alimente de nombreux préjugés encore très vifs et actifs. L'un des plus célèbres épileptologues, William Lennox, écrivait il y a une cinquantaine d’années : « l'épilepsie, la seule affection dont les préjugés sociaux sont plus graves que la maladie elle-même ». Long a été le chemin, le sport n’a pas été étranger à cette évolution heureusement positive pour aider les malades épileptiques et leurs entourages.
Aux entretiens de Bichat, tribune de la formation médicale continue, intervenant en tant que Président de la Ligue française contre l'épilepsie (LFCE), il y a 20 ans, nous avions montré combien le cinéma et la télévision avaient contribué à façonner l'image forcément négative de l'épileptique au travers de nombreuses séquences de films, quel que soit le pays d'origine du scénariste ou du metteur en scène : Le personnage de Jules César dans l'extraordinaire film oscarisé Cléopâtre de Mankiewicz ; la fille de joie entre l'aristocrate De Niro et le fils de paysan Depardieu dans 1900 de Bertolucci, entre autres stigmates dans le millier de films aux seules fins de choquer, de casser l'image du héros.... de détourner l'attention de façon spectaculaire à l'instar du Fugitif avec Harrison Ford, lequel vient d'annoncer que sa fille est épileptique et qui apporte maintenant son aide aux malades.
Spectaculaire est bien le mot qui s'associe au « haut mal » ou crise « grand mal », pratiquement la seule crise épileptique connue du grand public. Cette image, ancrée dans les esprits, assimile trop rapidement l'épilepsie à toutes les convulsions, soubresauts ou gesticulations, contemporains d'une perte de connaissance. La confusion diagnostique ou assimilation avec une syncope convulsive atteint des chiffres records d’erreurs diagnostiques de l'ordre de 30 %...., sans éviter la polémique des heures précédant la finale du Mundial de 1998.
Spectaculaires sont les nombreuses vidéos, sur le net, d'un joueur ou d'un arbitre développant une crise épileptique sur le terrain, faisant vivre le désarroi, la peur et forcément la panique dans le stade. Quand cette crise survient après un choc, une « tête », la dramaturgie est en place alors qu'il ne s'agit que d'une syncope convulsive n'ayant rigoureusement rien à voir avec une crise épileptique. Cet effet d’annonce contraste avec le peu de données épidémiologiques sont pauvres : seulement 17 articles dans Pubmed retenus (Capovilla et al. 2016) et aucun sur le risque de survenue d’une crise épileptique sur un terrain de football.
Stigmatisations et préjugés sociaux, culturels, moraux sont les vecteurs des conséquences délétères parfois perverses sur les malades épileptiques, restant sur la touche du terrain scolaire, exclus de principe de nombreuses professions ou activités notamment sportives, les obligeant à mentir, à cacher leur maladie, à se réfugier à l'abri du regard des autres, souvent dans des toilettes « pour faire leur crise » et ce depuis leur plus jeune enfance.
Dans ce contexte éducatif, social, professionnel, les conséquences psychologiques nourrissent de nouvelles inquiétudes, renforçant, chose rare en médecine, à la fois le symptôme, la crise épileptique, en la déclenchant ou en la favorisant et le mécanisme global de la maladie, l'épilepsie, majorant la propension à refaire des crises.
Le sport en général et même la pratique des échecs ne sont pas restés étrangers à cette construction négative de la personnalité du malade épileptique. Si certains sports, à l'instar de certaines professions sont formellement et logiquement contre-indiqués en cas d'épilepsie ou même d'antécédents d'épilepsie (alpinisme, plongée sous-marine…), il est plus difficile de comprendre pourquoi l'enfant ou l'adolescent épileptique est exclu du football dont l'impact médiatique ne fait que croître.
Cette exclusion d'office, pour des raisons au demeurant inconnues, donc proches de préjugés ou de croyances, rendait encore plus difficile l'intégration des activités sportives, dont le football, pour aider à la prise en charge du réel handicap épileptique.
De nouveau, les préjugés et fausses idées reçues s’accumulent : induction de crises par l’effort physique, risque d’accidents, performances sportives inférieures, effets secondaires des médicaments, diminution de l’efficacité des médicaments…
La réalité des faits revient aux études cliniques et électroencéphalographiques prospectives chez l’homme montrant que la pratique sportive régulière chez l’épileptique se caractérise par une diminution du nombre de crises (Heise et al. 2002), non aggravation de la fréquence des crises (Nakken et al. 1990), l’absence d’induction de crises en cas d’exercice intense (Camillo et al. 2009 ; Vancini et al. 2010 ; Lucia et al. 2011) l’amélioration des anomalies EEG par enregistrements télémétriques prolongés (Horyd et al. 1981 ; Nakken et al. 1997) ; l’amélioration des comorbidités (psychiatriques, de la qualité de vie, de l’humeur) (Roth 1994 ; Mc Anley 2001).
Sur le plan physiologique, toujours chez l’homme, si l’effet néfaste de l’hypoglycémie, de l’hyponatrémie, de la déshydratation est certain, il n’en est pas de même de l’hyperventilation, laquelle a été source de fortes réticences à la pratique du sport chez l’épileptique et en particulier le football. En effet, il est bien connu, et c’est d’ailleurs un test diagnostique, qu’une hyperpnée au repos favorise des anomalies EEG et la survenue de crises épileptiques, notamment des absences. C’est confondre hyperpnée de repos et hyperventilation du sport ; la première conduit à une alcalose et à une vasoconstriction, facteur potentiellement épileptogène et la seconde correspond à une réponse à l’hypercapnie par une acidose, laquelle diminue le seuil épileptogène.
Ces données reproduites chez l’animal confirment que l’exercice physique retarde l’épileptogénèse, diminue la fréquence des crises, selon les deux modèles expérimentaux du kindling et du rat pilocarpîne, deux modèles utilisés pour évaluer les nouvelles molécules antiépileptiques (Arida et al. 1998, 1999, 2013).
En somme, le sport, l’exercice physique chez le patient souffrant d'épilepsie :
Cette analyse, retenue en 2008, par l'Union des Associations Européennes de Football (UEFA), conduite par Michel Platini, très sensible à l'aide que peut apporter le football dans le parcours éducatif d'un enfant et à l'intégration du football chez l'enfant handicapé, a permis le développement de la première action d'envergure européenne initiée par la Ligue française contre l'épilepsie dont j'avais l'honneur d'animer la présidence, avec inscription sur de nombreux maillots de football de ligue 1 « l'épilepsie se traite... le préjudice non » et la diffusion d'un spot construit par nos amis italiens avec un enfant épileptique jouant au foot et faisant même des « têtes ».
Cette action a ouvert un nouvel éclairage sur le malade épileptique, d'autant qu'à la même époque, les critères d'aptitude médicale à la conduite automobile chez l'épileptique étaient revisités en France, en 2005, ouvrant les portes, en 2010, à une nouvelle réglementation européenne que nous avons également conduite pour la France, brisant totalement les tabous en apportant une juste mesure dans la prise de décision pour la société et le malade.
Dans la foulée, pas loin du but, une fois entré dans la surface de réparation du préjudice, Michel Platini a de nouveau repris la balle en novembre 2014, lors des Journées françaises de l'épilepsie à Nancy, pour lancer l'opération « casser l'image de l'épilepsieS et des épileptiques ».
C'est dans ce contexte, qu'en janvier 2015, le ballon allait au fond des filets lors du lancement de la Campagne nationale de la Fédération française de football, animée par notre ami le regretté Pr Pierre Rochecongar et la LFCE, présidée pat le Dr Arnaud Biraben et parrainée par Mickael Landreau, célèbre gardien de but.
Cette campagne de sensibilisation et d'information « Football et ÉpilesieS » expliquait que les malades épileptiques avaient parfaitement la possibilité de pratiquer le football ; mieux encore… la pratique du sport, notamment du football, favorisait la stabilisation de la malade et la guérison.
Trois ans plus tard, premier trimestre 2018, avec l'aide des médecins de la Ligue de Football professionnel, nous avons réalisé une enquête d'évaluation confirmant l'importance du résultat obtenu à chaque étape de la chaîne pour :
Dans le détail, notre enquête lancée auprès des médecins de la Ligue de Football professionnel et des centres de formation (n = 80) a reçu les constatations suivantes avec 48 réponses :
L'impact de ce résultat qui fait honneur au travail réalisé par la Fédération Française de Football, en lien avec les relais régionaux, est à mettre en parallèle avec :
La prise de décision et le champ d’action des médecins du football sont sous-tendus par les données suivantes.
Merci à la Fédération française de football pour l'aide apportée aux malades épileptiques et à leur entourage.
Merci aux médecins des clubs de football et des centres de formation.
Allez les enfants ! Éclatez-vous au foot !
Par Hervé Vespignani
Professeur Honoraire de Neurologie, Université de Lorraine
Président d'honneur de la Ligue Française contre l'Epilepsie
Président Fondateur CEREVES et Serenity Medical Services
13-15 Médipôle Saint Jacques - Polyclinique Gentilly - 54320 Maxéville
herve.vespignani@cereves-lorraine.fr